« La personne, corps et esprit »
Afin de poursuivre le cycle de conférences sur la personne, la journée du 22 février se concentrera sur les thématiques du corps et de l’esprit, de leurs rapports avec le droit et de leur prise en compte par celui-ci.
La matinée traitera des pouvoirs que la société, et même l’État, exerce sur les esprits.
L’État contrôle l’éducation : il est l’employeur des enseignants, détermine les programmes, définit les évolutions à donner. Au-delà, il s’efforce dans divers domaines d’orienter l’action des personnes en agissant sur leurs croyances et connaissances: le droit pénal développe des stages, le droit de la santé publique tente d’assurer l’éducation à la santé, etc. L’État accède ainsi à l’esprit des personnes et pourrait, dans des scénarios catastrophes tels ceux décrits par ORWELL dans 1984, se servir de l’éducation pour faire accepter des représentations peu démocratiques et légitimer des systèmes totalitaires. Dans quelle mesure cette entreprise éducative étatique est-elle acceptable et comment éviter les abus et protéger les individus ?
Dans le même temps, le droit consacre l’objection de conscience, c’est-à-dire admet dans certains cas « le refus opposé par une personne à l’exécution d’un ordre qu’elle juge incompatible avec une conviction formée par sa conscience à la lumière de la morale et, le cas échéant, de ses croyances religieuses ». L’objection de conscience est aujourd’hui protégée sur le fondement de la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme). C’est au juge d’apprécier la recevabilité de l’objection de conscience. Si cette notion permet l’existence d’îlots de libertés, ceux-ci ne sont reconnus par le droit que dans des cas extrêmement précis et limités.
Les thématiques de l’après-midi abordent quant à elles la question du rapport du corps et du droit. Le corps occupe une place symbolique importante dans nos sociétés occidentales. Traditionnellement, le droit tend à une protection relativement stricte de celui-ci, interdisant certains usages et utilisations des individus sur leur propre corps. Ainsi par exemple, l’interruption volontaire de grossesse en France n’a été autorisée qu’en 1975 par la célèbre loi n°75-17 du 17 janvier 1975. Au-delà de cet exemple caractéristique de la possibilité pour les individus à exercer une forme de contrôle sur leur propre corps, qu’en est-il aujourd’hui ? Traditionnellement, la relation particulière qu’une personne entretient avec son corps diffère fondamentalement d’une simple relation de propriété, entre une personne et un objet : le corps humain n’est pas une chose classique, parce que l’individu est davantage son corps qu’il n’en est le propriétaire. Mais la vision du corps et des rapports que l’individu entretient ou peut entretenir avec son propre corps a beaucoup évolué dans la société. Ce qui ne pouvait manquer de retentir sur le droit. D’un côté le droit limite l’étendue des prérogatives de chaque individu sur leur propre corps, notamment en s’appuyant sur la notion de dignité objective : dans notre société, une atteinte au corps constitue une atteinte à notre dignité, concept fondamental de la protection de la personne humaine. Ainsi, la libre disposition du corps humain est limitée : la vente d’organes est par exemple interdite. Le corps, considéré comme sacré dans nos sociétés, est donc appréhendé par le droit de façon tout à fait particulière. De l’autre, se développe une notion de dignité subjective, qui voudrait que les individus aient une liberté totale sur leur corps : ils pourraient ainsi en disposer comme ils l’entendent, sans que la société ne puisse interférer dans la relation entre un individu et son corps.
La journée se décomposera donc entre une matinée qui traitera de l’esprit, et une après-midi qui traitera du corps.
La première table ronde de la matinée s’interrogera sur le rôle d’éducateur de l’État et les enjeux de ce rôle entre nécessité de formation et modelage de l’esprit. François SAINT-BONNET, professeur d’histoire du droit à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, retracera l’histoire de l’engagement de l’État dans l’éducation avant que Farah Safi, professeur de droit privé à l’université Clermont Auvergne, ne se penche sur la dimension répressive de l’éducation. Enfin Didier TABUTEAU, responsable de la chaire » santé » à Science Po Paris et Jacqueline DESCARPENTRIES, maître de conférences en science de l’éducation à l’université Lille 3, aborderont la question de l’éducation sanitaire et sociale.
La seconde table ronde de la matinée portera sur l’objection de conscience et sa place dans l’ordre dans l’ordre juridique. Elle consistera à s’interroger sur le statut de principe ou d’exception de cette notion particulière à travers les regards croisés de Patrick WACHSMANN, professeur de droit public à l’université de Strasbourg, Emmanuel DAOUD, avocat du cabinet Vigo et membre du Conseil de l’Ordre de Paris, et Dominique THOUVENIN, professeur émérite de droit privé à l’EHESP-Institut des Sciences juridiques et Philosophie de la Sorbonne. Il y sera question de la jurisprudence européenne mais aussi de la réalité pratique de l’objection en matière médicale ou de clause de conscience de l’avocat.
La première table-ronde de l’après-midi réunira les professeurs Philippe CONTE et Laurent LEVENEUR, respectivement pénaliste et privatiste à l’université Paris 2, ainsi que Cécile MOIROUD, maître de conférences en droit public à l’université Paris 1: ils traiteront du corps dans le discours juridique, que ce soit en droit privé, pénal, ou public. Quels sont les mots du droit sur le corps humain et que nous disent-ils de la conception que le droit s’en fait ?
La seconde table-ronde de l’après-midi abordera la question de la normalisation des corps et réunira Clément COUSIN, docteur en droit privé, chercheur associé à l’université Rennes 1 et juriste assistant à la Cour d’appel de Bordeaux, ainsi que Benjamin MORON-PUECH, maître de conférences en droit privé à l’université Paris 2.
Enfin, pour clore la journée, c’est la problématique de la disposition du corps qui sera abordée: on s’interrogera sur les évolutions du droit positif et le devenir de l’indisponibilité du corps, entre mythe symbolique et réalité pratique. Cette table-ronde sera animée par Florence BELLIVIER, professeur de droit privé à l’université Paris 10, qui analysera le cadre juridique de la disposition des corps. Dominique THOUVENIN, traitera ensuite de la question du consentement dans la pratique biomédicale des prélèvements d’organes et de la recherche. Enfin, Jean MERCIER-YTHIER, professeur d’économie à l’université Paris 2, abordera la question de la patrimonialité du corps humain sous un angle économique.